Chapitre II - La déconvenue
Deuxième partie
Extraits – pages 123 – 124
Le dancing était encore peu fréquenté à l'heure où nous y arrivâmes. Peut-être était-ce parce que c'était en semaine ou qu'il était trop tôt. Nous nous installâmes devant un jus d'orange, bien sagement, face à face. Étant débutants, nous aurions préféré nous noyer dans la foule pour passer inaperçus, mais comme les danseurs étaient rares, nous n'osions pas nous lancer, sauf dans une danse pratiquée durant plusieurs cours. Nous nous risquâmes donc au son d'un tango, essayant de nous rappeler toutes les figures. Après une série de cette danse, lui succédèrent une série de rumbas, puis de boléros, suivis de paso doble, soudain les lumières se tamisèrent pour un bouquet de slows, danse que nous n'avions presque pas pratiquée ensemble, le professeur nous ayant séparé.
Le contact fut soudain une révélation de nos corps, car la pression que Grégoire exerçait pour me rapprocher de lui était supérieure à celle permise par le “maître” qui exigeait une distance respectueuse à conserver. Il faut croire que trop de sagesse ne m'avait pas préparée à cette promiscuité intense et qu'un certain tempérament sommeillant en moi-même, ne demandait qu'à s'éveiller. Toujours est-il que la vague de chaleur qui m'envahit me laissa pantelante d'incertitude sur la nature du sentiment que me provoquait cette sensation, était-ce physique uniquement ou s'y mêlait-il un sentiment plus subtil et auquel j'aspirais comme le summum de la félicité dans un couple, l'Amour !
Lorsque nous nous assîmes de nouveau, Grégoire en profita pour s'installer à côté de moi. Mon émoi ne lui avait pas échappé et ses lèvres cherchèrent les miennes, tout en m'enveloppant de son bras. Je me laissais faire distraitement car le lieu me semblait soudainement trop peuplé pour ce genre de relation. Mon recul ne le surpris pas et il me proposa de partir. J'étais venue pour danser et il me connaissait mal pour croire que j'abandonnerais mes projets aussi facilement, sous couvert du trouble provoqué. D'ailleurs le premier moment passé, je m'en voulais de m'être laissée aller à cette langueur. Je bus une gorgée de jus de fruits et lui proposai de retourner sur la piste, ce que nous fîmes. Les mêmes types de rythmes s'égrenèrent. Cependant une valse musette, musique dont j'ai toujours eu horreur, nous fut proposée. Comme nous n'avions, jamais valser ensemble, ni même eu le temps d'apprendre, nous préférâmes regagner notre table. Je crois que c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais été capable de valser, car nous ne retournâmes plus aux cours de danse à partir de ce soir-là.
Grégoire regarda sa montre. Pour lui qui commençait ses journées de bonne heure, celle-ci devait lui paraître longue, bien que son jour de congé fut précisément le lendemain et qu'il pourrait dormir plus tard. Je lui proposai donc de rentrer, mais juste à ce moment, une nouvelle série de slows débutèrent et il m'entraîna impérativement, avec une idée bien arrêtée dans la tête : reproduire le trouble qui le faisait avancer dans ses projets. Ce serait mentir que de dire que je n'étais pas consentante, cette sensation de fondre littéralement ne m'avait pas déplu. Je dois reconnaître que je ne restais pas de marbre à son contact et que je ne fuyais pas ses lèvres cette fois-ci.
Extrait – pages 129 – 130
Ce soir-là, émue de me trouvée totalement seule avec mon amoureux et toujours timorée sur les échanges sexuels, je me laissai aller cependant assez loin pour penser que c'était irrémédiable. La présence de préservatif et le fait que l'emploi de cet objet annihile tout romantisme et rendait la pénétration d'une vierge difficile et peu gratifiante pour elle-même, si elle semblait, toutefois, en avoir satisfait l'auteur, aurait dû me détourner de poursuivre sur cette pente…
Sur ces entrefaites, maman me demanda si je voulais toujours aller au bal du Génie Maritime. Je n'y pensais plus. Cependant, ayant accepté la demande en mariage de Grégoire, effectivement, ce bal devenait inutile. Lorsque je lui en reparlai, il se montra fort jaloux en me disant que cela ne lui ferait pas plaisir si je m'y rendais. Julienne nous annonça qu'elle attendait un bébé pour le mois de juillet et étant au courant des projets sous-jacents, nous dit que si je ne désirais plus me rendre à ce bal, ils ne le fréquenteraient pas cette année, puisqu'elle était enceinte. Ainsi les perspectives du bal étant éliminées, je n'avais plus de raison de continuer les cours de danse, mais alors il devenait difficile de voir mon "futur" seul un soir. Il m'arrivait de me rendre chez Taty Jeannette et tonton Pierre après le dîner, un soir de la semaine, de temps à autre, je pris soudain l'habitude, qui leur fit plaisir, de les visiter chaque semaine, la veille du jour de congé de Grégoire, ainsi, après une heure passée à bavarder avec eux, je montais retrouver Grégoire dans sa chambre.
Mes progrès sexuels me firent constater que j'avais du tempérament, ce qui convenait tout à fait à Grégoire. Malheureusement ces maudits préservatifs étaient franchement désagréables et rendaient me semblait-il mon partenaire trop rapide, ce qui ne m'apportait pas de réelles satisfactions. Il compensait par les caresses, sachant bien rouler la pâte, il avait de bonnes mains, et ce plaisir nous était commun.
Extrait – pages 132 - 133
...Grégoire arriva sur mes talons, presque à la porte de l'entrée commune. Je ne sais pourquoi, je lui proposais soudain, peut être remuée et remise en question par la déclaration de Clément, de venir faire une petite promenade. Une interrogation tournait dans ma tête depuis quelques minutes avec insistance et il fallait que je lui pose sans attendre la question qui me tourmentait. Nous longeâmes le parc comme je l'avais fait avec son ami quelques dizaine de minutes précédemment. Je lui demandais brusquement si la réponse, qu'il m'avait donnée lorsque je l’avais questionné tout au début de notre rencontre concernant son état de pureté, était réellement vraie ? A mon grand désarroi, il me répondit avec un petit sourire entendu qui me fit horreur et que je n'oublierai jamais : .
- “Non, pendant le service militaire en Allemagne, je suis allé voir les pûtes”.
-J'eus un véritable haut-le-cœur devant cette révélation brutal, d'autant qu'il ajouta cyniquement : .
- “Maintenant que nous avons couché ensemble, je peux te le dire, mais j'avais peur de te perdre si je te l'avais avoué le jour où tu me l'as demandé”.
Je reçus cette confirmation comme une douche glacée, j'avais l'impression d'une trahison, moi qui avais été si naïvement confiante, je me sentais soudainement sale et perdue à jamais. Je le quittais le plus rapidement possible et pleurais amèrement dans mon lit ce soir-là. Toutes les questions repoussées se heurtaient furieusement dans ma tête, j'avais envie de rompre immédiatement. Devant moi se profilait le masque de la honte, comment ne pourrai-je jamais me présenter devant un autre homme ? Je me sentais salie, bafouée, indigne, déconsidérée inconsolable.
Après une nuit très agitée, je me réveillai bien décidée à ne parler à âme qui vive de ma déconvenue, puisque cela aurait été, avouer, à la fois mon manque de sagesse et l'imposture de Grégoire. Mes parents n'auraient plus eu confiance en moi-même et auraient peut-être provoqué la rupture qui me laissait tachée devant un autre futur mari possible. Je me dis que le vin était tiré, qu'il fallait le boire jusqu'à la lie. Jamais je ne pourrais plus prétendre trouver l'homme chaste et pur pour lequel je m'étais, jusqu'à Grégoire, réservée. Il fallait me faire à cette idée et accepter celle de me marier malgré tout avec celui qui m'avait déflorée. Après tout j'avais été consentante, trompée, certes, mais je n'aurais jamais du aller si loin dans nos rapports. Sous couvert que je devais me marier avec Grégoire, j'avais dérogé à la règle que je m'étais fixée jusque là, j'en payais les conséquences maintenant.
Le lendemain, Grégoire se présenta chez mes parents comme si de rien n'était, parce que pour lui, cela n'avait aucune importance de m'avoir menti dès le premier instant d'échanges, sincères et confiants pour ma part. Il avait abîmé mon beau rêve de chasteté réciproque, mais n'en avait cure.
RETOUR A LA TABLE DES MATIERES III
Copyright by Micheline Schneider Le Brun - Extraits 2ème partie - chapitre II - La déconvenue
"La première et merveilleuse histoire d'Amour du monde ou Hologrammes de deux VIES humaines pour des Entités Divines"
Date de dernière mise à jour : 16/05/2023