Chapitre VII - Edouard - le second mariage
Extrait - pages 97 - 98 / 101 - 104
Au retour, seuls au mois d'août 1973, nous nous promenions un samedi dans la galerie marchande de Parly-II que nous fréquentions assidûment depuis son ouverture. Édouard, alors que nous admirions des meubles, copies fidèles d'ancien, dans la vitrine d'Art Décoration, me dit soudainement : .
- “Si je te demandais de m'épouser, tu accepterais ?” .
Un peu surprise du lieu et de la manière impromptue de la demande, je le regardais étonnée ! Nous n'avions pratiquement jamais parlé d'une telle éventualité, mon divorce n'ayant été prononcé qu'en 1972 cela se comprenait. De plus, chat échaudé craint, l'eau froide, dit-on, et nous nous étions malgré tout dit, que la sagesse était peut-être de ne pas “reconvoler”. J'avais attendu, que les neuf mois obligatoires fussent écoulés pour parler d'enfant que j'aimerais avoir de lui, sans succès et il n'avait pas été sans remarquer ma peine. Je supposais donc, que sa demande mûrement réfléchie, intervenait pour me faire comprendre qu'il m'aimait malgré son refus d'être père.
Je reconnais que régulariser notre situation n'était pas pour me déplaire, aussi bien pour ma famille et mes enfants que dans notre activité, car je signais un grand nombre de documents bancaires et administratifs. De moi-même, je n'aurais rien réclamé, surtout après ce refus d'enfant, basé sur la crainte de peiner les siens. Le mariage ne changeait rien à la qualité de notre amour, mais constaté de l'extérieur, cela l'authentifiait. Aussi, lui prenant tendrement la main et posant ma tête sur son épaule, j'acceptais.
Édouard me demanda si je voulais faire une grande fête avec “le ban et l'arrière ban” ! Mais je lui répliquais que je préférais la discrétion, puisque nous vivions ensemble depuis quatre ans, deux témoins à la mairie feraient l'affaire et un repas avec nos six enfants et maman, le dimanche suivant. Mon futur mari convint que c'était sage et nous décidâmes de la date du 28 septembre 1973, située entre mon anniversaire et ma fête.
Quel était-il donc ce nouveau mari intransigeant ?
Dynamisme et réalisme sont les deux caractéristiques que je puis lui attribuer sans hésitation. Une certaine forme de flegmatisme, à peine plus forte que sa nervosité. Un peu de passion dans certains domaines, nonchalance pour beaucoup d'autres s'ils ne présentent pas d'intérêt pour lui. Très peu sentimental, Édouard s'emmêlerait facilement “les pinceaux” dès qu'il se trouve confronté à un problème de cet ordre.
Au demeurant son attention est plutôt tournée vers l'extérieur. Il réfléchit sur les personnes et sur les choses et non sur lui-même. Confiant en lui-même lorsqu'il improvise, s'emballe facilement sans vraiment penser au long terme. Travailleur pratique, assidu, mobile et affairé s'il y trouve de l'intérêt. Penseur rapide, à la recherche de résultats immédiats. Très sociable “s'il vous a à la bonne” Peu circonspect, impulsif, peut être violent, incisif, verbalement surtout. Net et catégorique dans sa façon de parler, pouvant paraître froid. Les copains et amis de nos enfants étaient toujours très intimidés par Édouard, ses sourcils épais les terrorisaient plus jeunes. Les enfants l'appelaient parfois avec un regard complice entre eux et moi-même, mais semi craintif en sa direction : “Le grand Yacca”, personnage télévisuel de leur enfance, caractérisé par de gros sourcils et une propension à imposer ses vues.
Non manuel, mais observateur, ce qui lui donne un sens pratique certain. Égoïste, mais libéral et tolérant, sa grande variabilité affective, due au côté nerveux de son tempérament, se traduit parfois par une humeur inégale et un attachement peu constant en dehors de sa proche famille. Il est capable de souffrir vivement, mais se console vite. Édouard serait plutôt porté vers un besoin permanent de changement, de distractions et d'émotions nouvelles, mais la vie s'est chargée de l'assagir sur ce point et peut-être aussi mon contact.
Édouard aime la vie simple et tranquille malgré tout, puisqu'il s'en contente sans trop se plaindre, maintenant que nos ressources sont réduites à leur plus simple expression. Je pourrais dire pêle-mêle, qu'il est encore, ardent, décidé, courageux, objectif, enthousiaste, mais actuellement un peu désespéré. Il sait être tendre et serviable avec ceux qui l'aiment et qu'il aime. Fragile dans le domaine des sentiments et c'est ce côté attendrissant qui m'a toujours fait lui pardonner, cet autre côté parfois orgueilleux, autoritaire, un tantinet trop sûr de ce qu'il énonce, qui m'agace chez lui.
Résumerai-je en disant qu'il a de l'intérêt pour les questions économiques, mais que le social et le politique le laisse souvent indifférent. Que son goût de l'action l'a parfois porté vers la témérité à nos dépends, que le besoin de nouveauté l'a un peu entraîné au gaspillage... Qu'il a de forts besoins vitaux et de trouver des buts positifs qui lui font actuellement cruellement défaut, car tourné vers les valeurs matérielles, il a peu d'imagination et il a du mal à trouver à quoi sera occupée sa retraite non dorée.
Si je reviens avec plus de précision à la période de notre mariage, je dois dire qu'il était fort bel homme, avec son profil méditerranéen, au nez grec, le charme de ses yeux bruns, bien fendus et ourlés de cils fournis, d'une bonne taille, le torse et les épaules confortables et sécurisants, poilu sur la poitrine et les bras sans excès, portant avec élégance tous les vêtements. Soit une belle allure générale avec tendance à un empâtement de la silhouette dès qu'il essayait de s'arrêter de fumer, hélas, et que l'âge a alourdie maintenant, mais le whisky doit y être pour quelque chose également, avec l'arrêt, peut-être définitif, du tabac ! ...
J'ai toujours gardé cette admiration des premiers jours pour sa façon de traiter les affaires avec brio, précision et clarté. Je voudrais de tout mon cœur, actuellement, le voir retrouver cet entrain qui est sa vie. Cette capacité de répondre à trois appels téléphoniques en même temps, sans perdre le fil de sa pensée. Celle de connaître un nombre important de numéros de téléphone par cœur et le contenu de dossier sans avoir à y plonger. J'étais éblouie par sa façon de calculer, mieux qu'un ordinateur, sa facilité à s'exprimer sur la plupart des sujets. Bref, j'étais à sa dévotion ! Malgré tout, dans certains domaines, je lui faisais comprendre que j'avais mon point de vue et dans l'ensemble, il se trouvait souvent qu'il me laisse volontiers la bride sur le cou, n'y ayant lui-même pas un intérêt réel.
Ce qui était le cas notamment pour tout ce qui était domestique. Pas trop difficile pour la nourriture du moment que je ne lui servais pas des plats qu'il n'aimait pas. Comme j'avais été à assez bonne école dans ma famille, il se montrait dans l'ensemble assez satisfait, de même que ses enfants. Les courses n'étaient pas son fort, sauf achats de vêtements ou de meubles que nous faisions la plupart du temps ensemble. Il me faisait confiance pour la décoration de la maison, la tenue des comptes ménagers et ceux de notre activité. Il a toujours géré le choix des grandes options, n'aimant pas être contredit et je n'ai jamais pu introduire une dose de sagesse dans l'achat des voitures qui avait lieu au rythme d'un changement par année ou deux au maximum. Ses préférences, ayant quitté les “Citroën” au moment ou nous commençâmes à vivre ensemble, se portèrent alors sur les BMW, dont les performances l'enchantaient. Il en eut au moins neuf, sur les plus ou moins, vingt-trois voitures en vingt-huit ans qu'il posséda successivement, sans compter les miennes.
Mon mari, né à Paris XIVème en 1934, de parents Suisses, est donc binational et me conféra par le mariage le même avantage. Sa maman, Française du côté maternelle, repris la nationalité lorsqu'elle revint en France. La grand-mère maternelle de mon mari était, elle-même, Normande par son père et Corse par sa mère ; son père partit en Russie travailler comme chef de rayon pour un grand magasin Français et c'est là qu'elle se maria avec un Suisse, lui-même émigré en Russie, et qui faisait de l'élevage de volailles et d'oiseaux. Ses parents ne furent pas très satisfaits de ce mariage-là. Cependant, d'après les photographies d'époque, elle semblait vivre dans une maison confortable, entourée de domestiques. C'est à Moscou que ma belle-mère naquit en 1911. La révolution russe les surpris en vacances en Suisse en 1918 et ils ne purent retourner en Russie et perdirent tous leurs biens. Ils vinrent en France et le grand-père d’Édouard installa une oisellerie sur les quais de Seine. Il mourut alors que Matty avait à peine quatorze ans, leur laissant une maison à Vanves que sa femme dut vendre pour survivre quelques temps. Elle qui n'avait jamais travaillé de sa vie, devint poinçonneuse au métro parisien.
Le père d’Édouard, Suisse, originaire de Neuchâtel et Rubigen, avait un arrière-grand-père qui quitta le Canton de Berne pour acheter la bourgeoisie Neuchâtelloise et y faire souche. Le grand-père de mon mari était cheminot et conduisait une locomotive, il semblerait que ses incartades conjugales provoquèrent la défenestration de son épouse, lorsque le père d’Édouard avait environ douze ans. Mais d'autres dires, laisseraient entendre que dans la famille de sa grand-mère l'on était porté sur la bouteille ! Le père d’Édouard vint en France comme réceptionniste dans un grand hôtel parisien. Il se maria avec Matty en 1929, la mésentente s'installa du fait que Willy, jouait aux courses et dilapida un petit héritage que sa femme reçut de son oncle. Édouard se souvient d'une période précédant l'avant guerre où il vécut avec sa grand-mère maternelle qui l'adorait, dans une petite chambre de bonne. Elle avait gardé des relations de bons termes avec son gendre et conduisait régulièrement son petit-fils voir son père qui traversa une brève période faste. Le remariage de sa mère fut pour lui l'horreur.
Quand nous repartons ainsi à la recherche des souvenirs de ce que furent ceux qui nous ont précédés, nous nous apercevons avec tristesse, comme parfois, ils sont peu étoffés, c'est le cas de mon mari pour sa famille !
Date de dernière mise à jour : 01/07/2025
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