La première et merveilleuse histoire d'Amour du monde

Chapitre X - 2 - Gaétan

Sixième partie 

Extrait – pages – 1272 à 1274 - Gaétan

Nous étions un jeune page devenu, le jour même, écuyer d'une belle et noble Demoiselle de la Cour. Nous portions fièrement ses couleurs et soupirions en secret pour ses beaux yeux. Un jour, elle laissa tomber à ses pieds le petit carré de dentelle qu'elle portait fréquemment à son nez ou à ses lèvres. S'emparant avec zèle de l'étoffe froissée, nous nous apprêtions à la lui présenter un genou à terre, lorsqu'elle fit un signe imperceptible qui signifiait de la garder. La joie dans l'âme, le jeune écuyer l'enfouit précieusement dans son pourpoint en rougissant un peu ! …

A quelque temps de là, par une splendide matinée de printemps, notre jeune écuyer mena sa haquenée blanche à “Sa Dame” qui désirait se promener. Il l'aida à s'installer sur sa monture et ce faisant, il sentit qu'on lui glissait un billet parfumé dans son gousset. Chevauchant discrètement à ses côtés, il mourrait d'envie de lire ce qui y était écrit. La course dura assez longtemps, tantôt au trot, tantôt au pas, pour qu'il puisse admirer tout à loisir la grande beauté de la Demoiselle.  Celle-ci faisait souvent en sorte de le frôler, si bien que son cheval fit soudain un écart et qu'il se retrouva sur le sol, heureusement sans mal ! La Demoiselle se jeta délibérément à bas de sa propre monture sans aucune aide nécessaire et se précipita vers lui, l'air soucieux. Le constatant en bon état, elle détourna son visage inquiet qui avait rosi de se sentir découverte. Il lui prit la main, la porta à ses lèvres amoureusement avec un regard qui en disait long sur ses propres sentiments.

Cependant des cavaliers approchaient et les auraient bientôt rejoints. Se relevant rapidement, il remercia chaleureusement la Demoiselle de sa prévenance à son humble égard et lui tendant le poing, la conduisit vers sa jument qui l'attendait sagement à quelques pas. Il l'aidait à remonter en selle, quand les promeneurs arrivèrent à leur hauteur.

Il s'agissait du prétendant de la Demoiselle que celle-ci devait épouser au début de l'été. Mariage de convenance, certes, mais la demoiselle étant fort belle, l'homme, qui avait la quarantaine passée, la couvait des yeux dès qu'elle apparaissait. Il n'eut pas apprécié son geste d'inquiétude envers son jeune écuyer, s'il avait pu observer leurs visages quelques minutes plus tôt. Le jeune homme en était conscient et se tint en retrait jusqu'à leur retour au château.

S'offrant pour assister sa belle pour descendre de sa monture, le prétendant devança l'écuyer dans son service et lui remettant les rênes, lui jeta un regard dénué d'aménité. Cependant, fort courtois envers sa “Dame de coeur”, lui présentant le poing, il la mena à pas lents, en devisant du paysage magnifique qui les environnait, vers les jardins qui entouraient la noble demeure.

Notre écuyer conduisit la jument à l'abreuvoir. Il en profita pour jeter un regard rapide sur le billet.

Oh ! Surprise, la Demoiselle lui prescrivait de se rendre, la nuit même, au pavillon de Vénus, sorte de petit temple grec situé au milieu d'une pièce d'eau artificielle alimenté par les canaux venant de l'étang voisin. Ce petit monument était accessible par de larges dalles de marbre blanc jetées comme un guet à travers l'étendue liquide. Il comportait une pièce minuscule en son centre, dont il avait toujours vu la porte close. Les ouïs dires prétendaient qu'un souterrain reliait cette pièce au château.

Tout à sa lecture et à sa surprise, Gaétan, c'était son prénom, n'entendit pas arriver le palefrenier qui venait prendre soins de la jument. Il rentra prestement le “mot doux”dans son pourpoint, de crainte que l'homme, qui ne savait pas lire, ne puisse reconnaître peut-être, le papier et l'écriture de la bien-aimée. Il lui remit les rênes et songeur regagna son logement proche des écuries. De petite noblesse, son père avait été récemment anobli, au cours d'une bataille à laquelle il participa vaillamment aux côtés du propre père de Demoiselle Agnès, Gaétan essayait de comprendre la faveur dont lui-même était soudain l'objet de la part de cette dernière.

Certes, ils avaient le même âge et avaient été élevés ensemble au château. Courant les jardins, les prés et les bois, échevelés et rieurs, lorsqu'ils étaient enfants ! Le couvent, où demoiselle Agnès étudia, les avait séparé. Lui-même avait accompagné son père dès quatorze ans, étant au service du Seigneur des lieux qui guerroyait auprès du roi François. Satisfait de ses services et reportant sur le fils la confiance qu'il avait dans le père, le Comte l'avait nommé écuyer pour qu'il protège sa fille unique et héritière de ses biens.

Le billet fixait le rendez-vous vers la onzième heure du soir. Sans doute, le prétendant restait-il souper au château et Demoiselle Agnès préférait-elle que tous fussent partis ou couchés...

Extrait – pages – 1275 – 1277 – 1278 - 1279

... Les agapes lui paraissaient interminables ! Les musiciens changèrent de place et formèrent un demi-cercle dans le salon où la danse commença. A ce moment, le Comte lui fit signe de s'approcher de lui.

“Ton père préfère que ce soit toi qui porte ce message, lui dit-il en lui tendant un pli. La nuit est claire et en longeant l'étang tu en auras pour une petite heure, aller et retour.”

Le Comte lui indiqua le lieu et la personne à joindre et Gaétan partit à bride abattue, pour être rentré à l'heure du rendez-vous...

... Gaétan s'apprêtait à rejoindre le Comte dans le bureau de celui-ci, lorsque son père surgit devant lui. Il s'inquiéta de savoir s'il n'avait pas fait de mauvaises rencontres en chemin, sur la négative, il lui prit le pli des mains pour le remettre, lui-même, à son maître et fit signe au jeune homme d'aller se reposer. Ce dernier ne se le fit pas dire deux fois, connaissant son retard...

... Le jeune homme s'aventura le long des parois, les palpant en quête d'une porte dérobée, mais il n'en trouva aucune. Soudain un rai de lumière vacillante au ras du sol attira son regard. Tâtant le sol de ses mains, il sentit une poignée de métal froid et s'en empara, la tirant à lui. La dalle qu'il soulevait ainsi était fort lourde et découvrait un escalier dérobé qui s'enfonçait au-dessous du niveau de la pièce d'eau. La lumière provenait d'un flambeau fiché dans la muraille à mi-parcours de l'escalier. Il s'y engagea, referma la dalle et par précautions, la cala avec un morceau d'étoffe qu'il déchira de son manteau...

...  Agnès d'un geste prompt le releva, mit un doigt sur ses lèvres et lui fit signe de reprendre sa lanterne, comme elle le fit elle-même et de la suivre. Gaétan se releva et l'accompagna sans mot dire. Ayant franchis la porte et la refermant, ils poursuivirent, l'un derrière l'autre, une centaine de mètres le long d'un étroit couloir suintant l'humidité. Ils parvinrent enfin au pied d'un nouvel escalier de pierre qui commençait très raide et étroit, s'arrêtait sur un palier de bois. Il s'évasait ensuite en un escalier de bois bordé d'une rampe recouverte de velours rouge. Les jeunes gens montèrent les degrés. Agnès poussa une porte de chêne garnie de gros clous. Ils entrèrent dans un corridor peint de rouge sombre et de motifs dorés, éclairé par des torchères. Le précédent toujours, la jeune fille l'entraîna vers le fond du corridor, sortit une clef de sa poche, ouvrit la porte sculptée sur un salon suffisamment éclairé pour y voir tous les détails de l'ameublement. Lequel donnait lui-même sur une chambre où brûlait un feu dans la cheminée. Après ce voyage qui lui paraissait avoir été fait au centre de la terre, le jeune homme était surpris du luxe de la pièce où il se trouvait. Délaissant leurs lanternes devenues inutiles, ils les posèrent et se tinrent silencieux l'un devant l'autre un long moment.

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Grape vine 1Copyright by Micheline Schneider Le Brun -  Sixième partie -  Extraits - chapitre X-2 - Gaétan

"La première et merveilleuse histoire d'Amour du monde ou Hologrammes de deux VIES humaines pour des Entités Divines"

 

 

Date de dernière mise à jour : 28/08/2023