La première et merveilleuse histoire d'Amour du monde

Chapitre III - Les fiançailles

Deuxième partie

Extrait page 139

Je continuais à monter dans la chambre de Grégoire un soir par semaine en sortant de chez Taty. Nos relations physiques donnaient apparemment satisfaction à mon compagnon qui semblait très amoureux, je me laissais emportée par sa fougue en espérant que finalement c'était cela l'Amour !

Maintenant, mon amoureux venait dîner de temps en temps à la maison, et pratiquement tous les soirs me rendait visite après dîner au lieu d'avant, ce qui lui permettait de rester plus longtemps, il avait droit à la tisane de tilleul menthe... Maman se couchait tôt et nous étions ainsi en tête-à-tête une petite heure quand papa ne rentrait pas.

Nous allions fréquemment à la messe avec ses parents.

-Ce côté religieux pratiquant de sa famille avait joué favorablement pour moi qui désirais tellement fonder un foyer ou la foi serait présente.

 J'avoue que j'avais un peu de mal à saisir celle de Grégoire, je me demandais si ce n'était pas tout bonnement de l'habitude ou le désir de plaire à son père. Il me semblait sans volonté devant ce dernier, au contraire de Jérémie, qui lui, discutait respectueusement, mais donnait son avis plus clairement.

Par rapport à ma foi, j'étais catastrophée de ma conduite et je n'osais plus aller me confesser, ni communier.

Comme ses parents ne savaient pas que je communiais fréquemment au préalable et qu'eux-mêmes ne le faisaient pas systématiquement, j'espérais que nous ne serions pas questionnés sur cette abstention et qu'elle ne nous amènerait aucun commentaire.

Extrait – page – 141 – 142 - 143

...Nos parents ne se connaissaient pas et je crois que les siens, peu familiarisés avec les coutumes françaises, considéraient ce protocole avec inquiétude, y ayant échappé du fait de la situation déjà expliquée. Cependant je soupçonnais papa d'avoir une idée derrière la tête pour insister sur une demande en mariage en règle.

A plusieurs occasions, Papa m'avait fait la réflexion que Grégoire n'était pas le garçon qui me convenait, car lui connaissait mes goûts et mes aspirations et il était étonné que je persévère. Tout au fond de moi-même, j'abondais dans son sens, mais ne voulant pas lui avouer que je m'étais donnée des raisons de ne pouvoir me désengager, je lui prétendais qu'il avait tort

 Rendez-vous pris, le père et le fils se présentèrent donc un samedi après-midi pour faire la demande.

Après les présentations et un échange courtois, il fallut bien aborder le sujet qui les amenait là. Le père de Grégoire d'un air gêné dit enfin :

- “Je crois que nos enfants ne nous ont pas demandé nos avis pour se choisir mutuellement, qu'en pensez-vous ?”

 Et là, papa lança l'offensive en disant que pour sa part, il me considérait comme trop jeune, inexpérimentée, n'ayant pas fréquenté d'autres garçons pour comparer. Il affirma qu’il considérait Grégoire comme un brave, gentil et sérieux garçon, mais qu'il pensait que nos goûts étaient très différents, et que des fiançailles un peu longues étaient nécessaires pour nous laisser réfléchir si nos choix réciproques étaient “judicieux”. Il ajouta :                    .
-“Qu'il venait de traverser une période difficile et qu'il n'avait pas de dote à me donner.”

Grégoire était dans ses petits souliers, et ne prononçait pas un mot, comme toujours lorsque son père était présent. Ce dernier dit qu'il comprenait parfaitement les arguments de papa, qu'il m'appréciait dans mon travail et tout de go, ajouta qu’il me trouvait trop bien pour son fils, que lui-même s'était marié sans que des questions de dote n'aient été évoquées - et pour cause - et qu'il jugeait bon, lui aussi, que nous attendions une année ou deux.

Au moment précis où il donnait son jugement sur moi-même par rapport à son fils, je me suis demandée, mais pourquoi ne laisses-tu pas tout tomber ? La honte, du fond de moi-même, resurgit. L’idée de devoir me présenter, un jour, devant l’homme que j'aimerais “de la manière dont j’envisageais l'Amour”, avec le rouge au front d'avoir perdu ma virginité, m'arrêta net.

Quelques dates furent proposées pour les fiançailles et celle du dimanche proche de mon anniversaire fin septembre, fut retenue. La conversation évolua dans divers domaines entre nos deux pères, tout en consommant champagne et petits fours secs. Soudain, je ne sais pourquoi, Malraux fut nommé et je dis que je venais de terminer “La condition humaine”, que cette lecture m'avait étreint les tripes et s'était chargée de me faire voir un certain visage de la vie. Le regard surpris, que le père de Grégoire me jeta, me fit saisir que lui-même venait seulement de comprendre la réflexion de mon propre père sur mes goûts par rapport à ceux de son fils. Voilà qu'il s'insurgeait que je lise ce genre d’ouvrage à mon âge ! J'allais avoir dix-huit ans à l'automne ! Je me dis que son côté Suisse ressortait, qu'il voyait les femmes derrière leur marmite et sans cervelle... Mon sang ne fit qu'un tour, je m’apprêtais à lui répondre vertement, lorsque je surpris le regard éploré de Grégoire qui ne tenait jamais tête à son père. A l'exception de Jérémie qui disait ce qu'il pensait, tout le monde chez eux, courbait l'échine devant lui. C'était mal me connaître, j'étais douce et patiente dans mon travail, mais il ne fallait pas me marcher sur les pieds, mon tempérament colérique de l'enfance reprenait le dessus au quart de tour. Cependant je me calmai, ne voulant pas donner mauvaise impression. Je crois que mon futur beau-père, lut dans la flamme de mon regard ce que j'avais gardé pour moi-même. Il se le tint pour dit à l'avenir et s’abstint de ce genre de réflexion. Je pense aussi que cela ne lui déplaisait pas que l'on montre du caractère.

Extraits – pages 147 – 148

Désirant enfin profiter du théâtre et des concerts, je décidais de nous inscrire aux Jeunesses musicales de France, espérant que Grégoire y trouverait intérêt. Ses horaires ne lui laissaient pas beaucoup de loisir pour les veillées tardives et je ne pouvais choisir que les soirées veille de son jour de congé ou le dimanche après-midi.

Mes choix ne furent pas de son goût et il refusa tout net de continuer après les trois premiers essais. Il est vrai que maman, qui nous accompagna à l'un de ces spectacles, eut le même jugement négatif. Je devais avoir des goûts, hélas, bien différents des leurs, puisqu'ils se portèrent en premier lieu sur “Le dialogue des carmélites” de Bernanos. Blanche de la Force n'inspira vraisemblablement pas Grégoire du tout, car il dodelina de la tête par à-coups.

Le deuxième spectacle, où maman se mit à l'unisson pour protester, était “En attendant Godo” de Samuel Becket. Il faut dire que le nom de Jean-Paul Roussillon (frère de Claire ma petite compagne de classe chez les sœurs) m'avait incitée à faire ce choix, sa famille demeurait au Pré-Saint-Gervais, proche banlieue où j'avais des souvenirs de l'école de mon enfance. Je dois reconnaître que ce n'était pas réjouissant pour tout le monde, il fallait être à l'écoute et un peu extravaguer avec les comédiens, pour suivre !

Ma troisième erreur fut “L'éternel mari” de Tchékhov me semble-t-il ? Grégoire, très jaloux de nature, était furieux, pensant que j'avais fait ce choix, pour lui montrer du doigt son pénible défaut. Voyant son peu d'enthousiasme pour le théâtre, je proposai les concerts, mais il ne semblait pas vouloir renouveler sa mésaventure de sorties. Nous risquions d'ailleurs d'avoir les mêmes problèmes car nos goûts divergeaient. J'étais attirée par le classique et lui, par la musique plus populaire à la mode du jour, que je ne dédaignais pas forcément moi-même. Il adorait la voix de Juliette Gréco et ma voix de soprano lui était indifférente, ce qui fit que je cessai totalement de chanter, ce qui était l'une de mes rares joies de vivre.

Extrait – page 149 – 150

Cependant, au fil de l'année qui s'écoulait et me rapprochait de l'issue finale, j'avais l'impression de m'enferrer toujours et davantage dans l'erreur inextricable d'un choix malheureux, dans lequel je m'étais piégée. A trois reprises je tentais de me dégager. La première fois, je rencontrai Claude par hasard en montant à la poste de la place des Fêtes. Claude, que j'ai déjà cité plus haut, habitait juste en face de ce bureau de poste dont nous dépendions. Il était au volant de la camionnette de l'entreprise de maçonnerie de son père. Me hélant au passage, puis connaissant mon but, il me proposa de m'y déposer. Je grimpai donc à ses côtés et nous bavardâmes des copines et des copains communs, notamment de Josette qui allait se marier car elle attendait un bébé.

Il savait par Anne-Marie que j'étais fiancée et me demanda, où j'en étais, sans ambages. Je dus peut-être avoir un air désenchanté et il ne parut pas dupe de ma réponse affirmant que tout allait bien, car il me dit d'un air entendu :          .                                                
“Tu sais, ça tient toujours mes propositions !”           .       
Ajoutant après un léger sifflotement désinvolte :       .                 
“Je suis toujours sur les rangs, et puis avec moi pas de risque, je ne peux pas avoir d'enfant.”                        .                                                                
Je l'écoutais et songeais que si j'avais donné suite à ses propositions, je n'en serais peut-être pas à me poser des questions sur la nature de mes sentiments à l'égard de Grégoire. Était-ce de l'amour ou la relative satisfaction physique qui me faisait rester avec lui, ou encore mon éternelle crainte d'arrivée non vierge vers un autre homme ? Certes, avec Claude, cela n'aurait pas de conséquence, mais sa proposition semblait plutôt coucherie que mariage. Encore que le sifflotement comportait une subtile nuance qui ne m'avait pas échappée et que l'aveu fait de ne pouvoir avoir d'enfant, état qu'il savait pertinemment que je connaissais, était une façon de dire : mais voilà, il ne faut pas désirer être mère, avec moi pour mari ! Il était assez beau garçon, grand, brun, joyeux luron mais pas très cultivé non plus, alors changer un cheval borgne pour un aveugle, mieux valait s'abstenir ! Cependant une réflexion qu'il me fit sur Jean V... qui prenait le métro, le matin pratiquement un quart d'heure avant moi-même, me laissa rêveuse et me procura l'occasion d'un deuxième rêve d’envolée hors de mes liens actuels
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Grape vine 1

Copyright by Micheline Schneider Le Brun - Deuxième partie -  Extraits chapitre II - Les fiançailles

"La première et merveilleuse histoire d'Amour du monde ou Hologrammes de deux VIES humaines pour des Entités Divines"

Date de dernière mise à jour : 18/05/2023