Chapitre I - Le piège s'entrouvre
Deuxième partie
Extrait – pages 107 - 108
Julienne et Julien me suggérèrent, à peu près dans la même période, de participer au bal du Génie Maritime qui aurait lieu dans quelques mois. Mon beau-frère désirait me présenter à des condisciples de sa promotion. Ma sœur pensait que j'y trouverais là un bon mari avec une promesse d'avenir aussi brillante que la sienne.
Je ne leur dis pas non. Je devais envisager de prendre des cours de danse et toujours peu argentée, je complotais avec Taty Jeannette d'une toilette adéquate. Le projet portait sur une robe longue en tulle plissé ciel... Je me faisais un peu l'impression de Cendrillon à la recherche du Prince Charmant !
La date de l'anniversaire d'Anne-Marie approchait et je me dis que cela serait l'occasion de m'entraîner ! J'avais dix-sept ans et n'avais jamais fait la moindre sortie en boîte. Pour cette occasion et également pour me rendre aux cours de danse, je me confectionnais une robe de taffetas écossais, noir, rouge, vert avec le croisement d'une fine rayure jaune et blanche. Le corsage était agrémenté de larges manches serrées sur l'avant bras, sorte de “manches gigot” de conception moderne, la jupe taillée en parapluie, tournoyait avec aisance et quelque indiscrétion suivant la rotation. J'étais très fière du résultat. Je la portais, avec une ceinture de velours noir extensible pour laquelle Taty Jeannette me donna une boucle en vieil argent lui appartenant lorsqu'elle était jeune fille. En cette occasion j'étrennais mes premières chaussures noires à talons hauts.
Lors de la journée d'anniversaire, je fis la connaissance d'un jeune Américain d'origines bretonnes qui venait faire ses études à Paris et habitait depuis quelques jours chez Madame et Monsieur de L…, nos voisins du deuxième étage. Ces derniers étaient des nobles désargentés, lui, était contractuel. Ils étaient en grande partie soutenus et entretenus par des membres plus aisés de la famille. Élisabeth de L…, bretonne d'Auray, était roturière. Cette femme dont la corpulence me rappelait ma grand-mère paternelle, portait admirablement la toilette. Elle était assez érudite, un peu extra-lucide et peignait de merveilleux oiseaux qu'elle essayait de vendre dans des expositions et y parvenait de temps à autres. Son appartement était vétuste comme le nôtre et de plus, mal entretenu ce qui déplut à John qui n'y resta pas longtemps. Je le compris aisément !
Je le déplorais d'autant plus que nous avions sympathisé tout de suite. Jean ou John Le B… et moi-même, avions conversé, sur la Bretagne et de choses et d'autres, tout l'après-midi et dansé pratiquement exclusivement ensemble, au grand dam des autres invitées qui me regardèrent de travers. Je parle des amies des garçons, qui se demandaient pourquoi elles n'intéressaient pas l'Américain ? Quant aux garçons, ils avaient l'air de se demander ce qu'ils avaient perdu en ne s'occupant pas de moi-même jusqu'ici ? J'étais ravie de cette situation, l'avouerai-je, mais surtout beaucoup plus intéressée par cet échange qui nous donnait l'impression de nous être toujours connus. Je lui promis, en le quittant, de lui prêter le livre “Visage de la Bretagne” à la prochaine occasion. Malheureusement elle n'eut jamais lieu, car une altercation avec sa logeuse occasionnelle le fit quitter le surlendemain le quartier. Comme Madame de L… était le seul lien possible et qu'il ne souhaitait probablement pas le renouer, et que de mon côté, je n'avais aucun moyen de le retrouver, la brève rencontre en resta là, mais elle m'avait permis de constater qu'une jeune fille sérieuse intéressait un garçon qui, apparemment, l'était aussi.
Beaucoup plus tard, je sus par l'intermédiaire de maman qui le tenait de notre voisine, amie de la famille de John, que ce dernier était attaché diplomatique à l’Ambassade des USA à Paris, marié et père de famille.
Extrait – pages 112 - 113
Je reçus à quelques temps de là, une convocation pour aller chercher mes diplômes qui me seraient utiles pour présenter un curriculum vitae.
Grégoire me proposa de m'accompagner son jour de congé, rue Mabillon où je devais retirer ces documents. J'acceptais, et, pour mieux connaître ses goûts, l'entraînai regarder les vitrines des antiquaires du quartier. Parce que j'aimais les choses anciennes, il me prétendit que lui aussi...
Nous entrâmes à l'église Saint Sulpice que nous n'avions jamais visitée, ni l'un, ni l'autre. La statue de Marie posant le pied à la fois sur la tête du serpent et le globe terrestre me reste dans le souvenir comme un des deux faits marquants de cette journée.
L’autre de ces faits qui stigmatisèrent ma vie, découle de l'échange que j'eus avec Grégoire ce jour-là. Nous nous promenâmes dans Paris, après avoir récupéré les diplômes, traîné chez les antiquaires et visité l'église. Nous marchâmes, suivant le chemin du retour, jusqu'aux Tuileries tout en devisant. Je me rendais bien compte, par de petites réflexions, telle que celle qu'il me fit en sortant de Saint Sulpice que Grégoire commençait à être amoureux de moi : .
–“Sais-tu qu'en entrant dans l'église, je nous imaginais en mariés remontant la nef vers l'autel ?”
Pour ma part, il ne m'était pas indifférent, mais étant très néophyte dans ce domaine, je me dis qu'il fallait que je prenne une précaution, en exprimant ce que j'entendais trouver chez l'homme que j'épouserais.
Ainsi lui expliquai-je que j'étais totalement vierge et que je m'étais depuis toujours, promise d'offrir cette virginité à l'homme que j'aimerais et que j'épouserais, mais qu'en retour j'attendais la même pureté de ce dernier.
A l'époque actuelle cela semble complètement aberrant pour la plupart des jeunes. Il y a quarante-quatre ans, (écrit en 1999) pour moi, cela allait de soi et correspondait aux critères de ma foi. C'était très important et je ne voulais pas me tromper. J'ajoutais que je m'abstiendrais de poursuivre une éventuelle fréquentation en vue de mariage, dans le cas contraire.
Grégoire avait presque cinq ans de plus que moi-même, que pouvais-je attendre qu'il me réponde ? Il m'affirma que lui-même répondait à ce critère et naïvement je le crus.
Extrait – pages 116 -117 - 118
–“Je voudrais que tu m'excuses pour hier soir, je n'ai pas été correct, mais je suis très amoureux de toi. Veux-tu être ma femme ?” La demande était surprenante, abrupte et prématurée, cependant je la sentais sincère, mais j'aurais aimé quelques délais… J'avais bien envie de le planter là, avec son gâteau, mais il ne méritait pas cette attitude-là non plus. Voyant ma gêne, il me dit :
–“Prends le gâteau, tu me répondras plus tard.”
Il me vola un rapide baiser et parti brusquement. Je restais avec ma boîte à gâteau dans les mains, abrutie par la situation inconfortable d'avoir accepté ce gâteau qui me semblait un gage de possession. Je sonnais rageusement à la porte de l’appartement.
Quand grand-mère et maman ouvrirent la porte et constatèrent que je portais le fameux gâteau, elles s'exclamèrent en chœur :
–“Tu as rencontré Grégoire ! Il paraissait tout excité et confus de ne pas te trouver. Pourquoi ce gâteau ?”
J'étais ennuyée de devoir parler de la veille au soir, et un peu outrée de la brusquerie de la demande en mariage, sans doute pas assez romantique pour mon goût. Je leur dis tout de go, sans mentionner la soirée précédente, que Grégoire venait de demander ma main !
Elles se regardèrent médusées et se tournant vers moi, me dirent presque ensemble :
– “Alors tu as accepté puisque tu as pris le gâteau ?”
A mon tour d'être interloquée, car je n'avais pas vraiment eu le choix de réfléchir ou de réagir étant donné la rapidité avec laquelle la scène s'était déroulée et le baiser volé.
Je leur dis que je tenais la boîte dans les mains au moment de sa déclaration, mais qu'il ne m'avait pas laissé le temps de réagir et était parti brusquement. Je ne parlai pas du baiser, par pudeur sans doute et leur demandai d'une toute petite voix, si l'acceptation de ce gâteau, en la circonstance, pouvait avoir une conséquence ?
Toutes deux me dire que j'aurais peut-être mieux fait de ne pas le prendre si je n'étais pas d'accord, mais que cela ne devait pas m'influencer.
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Copyright by Micheline Schneider Le Brun - Extraits 2 ème Partie - chapitre I - Le piège s'entretrouvre
"La première et merveilleuse histoire d'Amour du monde ou Hologrammes de deux VIES humaines pour des Entités Divines"
Date de dernière mise à jour : 16/05/2023